lundi 10 janvier 2011

Toutes ces autres conneries ne m'intéressent pas (Chennaï)

Qui sait ce que je veux et ce que je ne veux pas? Assez de projections, de vos pauvres fantasmes, j'ai les miens, et compte bien continuer à m'en occuper, quand j'aurai de vraies questions je viendrai vous consulter, mais tant que nous restons dans le flou artistique qui m'est cher, laissez-moi faire.
Qu'y a-t-il à retenir de l'Inde?
Que l'hospitalité est incroyable, et touchante, mais que finalement notre liberté et manière d'y trouver tous ensemble notre compte est un vrai bonheur.
J'ai marché le long de cette avenue incessante, à la recherche d'un café.
L'homme qui tient le restaurant a un cancer de la gorge et est obligé d'appuyer un petit appareil dessus pour qu'on l'entende parler. Ils me foutent dehors. Je vais payer.




Dix minutes de déambulation et je me retrouve dans un nouveau resto, celui-ci fait du café. Je me sens à nouveau un peu honteuse de ne commander que cela. Mais l'atmosphère en vaut la honte.
Pratiquement que des hommes qui tous mangent avec la main dans de grandes assiettes en fer blanc, parfois recouvertes d'une feuille de bananier.
Tellement agréable de toucher ainsi ces aliments et de manger à même quelque chose de végétal et qui, selon les dires, protégerait du cancer.
Comme papier toilette et mouchoirs ne sont pas d'usage ici, cela fait un peu deux jours que je suis enrhumée. Réaction à la pollution. Leur café est délicieux, au lait, épicé.
Chacun s'assied où il peut et veut, ce qui fait que je suis assise face à un homme un peu bedonnant, en chemise bleu-vert et à un petit, look étudiant, qui semble très heureux de faire chair.




Le problème est que certes, tout le monde parle anglais, mais ce n'est quand même pas leur langue maternelle, et du coup, les rapports restent ceux d'une touriste à des autochtones. Y a des courants d'air chauds partout tout le temps, genre Hollywood chewing-gum sauf que là, les cheveux frisent, ondulent n'importe comment, humidité ambiante et mousson.
Mais la température est idéale, et c'est rare de le penser comme ça.
L'autre problème est que c'est l'heure de déjeuner et du coup tous les cafés se blindent, et pour une pute qui veut juste un café, c'est pas très rentable.
Enfin.



Mensonge de quatre jours avant Noël.
Je suis partie pour mieux ne plus penser à lui. Au lieu de sa peau, de ses mains, c'est désormais la moiteur qui me colle au corps. Parmi la foule, le bruit, les odeurs, parmi les regards, sourires, les appels, au sein des doutes, klaxons et confusions, dans le piment le café la pluie, le sucre, le vent levé, l'envie, partout, toujours, je le retrouve.
Dans les couleurs, les turbans, les peaux bronzées, dans le bonheur, les tourments, les fleurs fanées, dans la rue face aux chiens, dans les cafés, frottée aux hommes, dans les rickshaws, à négocier, tentant de sourire, à la plage, au marché, à l'hôtel, impersonnel, dans la chambre l'hospitalité, partout, toujours, je le retrouve.
Ne pas penser à ce qu'il fait en ce moment.
Nos vies sont séparées, chacun la sienne et les vaches sacrées seront bien gardées.
N'est-ce pas là l'un des enseignements? Ne devons-nous pas commencer à comprendre, à bâtir, à faire nôtre notre route?
Pourquoi toujours séparer le chemin de nos pas de celui de nos pensées?
Je foule le sol indien, la poussière, les flaques d'eau tièdes, et les déchets, mes pieds gris de poussière et de sable, qui ont perdu leur odeur au contact de tant d'autres.
Mais mon âme?
Et si je devais me faire renverser à la minute, réintégrerait-elle la réalité de mon corps, la présence à cette physicité?
Je suis là pour être aimée.
Sur l'écran défilent des voeux de Noël, des recettes pour gâteaux traditionnels.
J'ai quitté les miens et les siens.
Seuls ils se réuniront au pied du sapin.
La puce à l'oreille? Pourquoi?
Lui-même ne devait pas le savoir.
Pourquoi aurais-je dû me torturer à apprendre avant lui la fin de notre histoire?
Je ne suis pas de celles qui vivent du tourment. Aujourd'hui, si, mais c'est différent. Aujourd'hui le tourment est petit-déjeuner, réveil en sursaut, rassurante rumeur du ventilateur, chanson agaçante des moustiques porteurs de paludisme. Je ne me protège pas.
Une bonne fièvre qui me fasse perdre la raison, moi qui ai depuis deux mois la tête pesante sur les épaules.
Je ne sais pas, je ne sais plus, je ne sais pas si j'ai jamais su.
Rester légère, mais concentrée, comme la tomate.
Simplement retrouver l'habitude de penser pour soi, sans référent, de marcher seule dans la rue, de coucher avec des inconnus, en s'accrochant à son plaisir.
D'avoir à nouveau le temps.
De pouvoir faire, immédiatement, sans consultation.
Livrons-nous, puisque nous ne nous comprenons plus. Du baume à l'âme. Liberté, libération. Nous ouverts, moi à toi, et un tour à l'envers, toi à moi, un tour à l'endroit.
Je t'aime encore car j'en ai l'habitude, je t'aime encore car c'était ma principale occupation.
Et où vais-je dans cette temporalité, qu'est-ce à dire, à faire, à penser? Venez me voir, ô, indiens, sortez-moi de cette torpeur, de ce malheur, de tout ce que ma vie a de papier maché, de carton pâte, de fausseté, de coeur?
Tout semble en moi, et en ce que j'éprouve, illusoire, cela ne devrait pas se passer comme ça. On ne devrait pas me laisser tranquille, me laisser en paix, on devrait m'assaillir de questions, de réponses, de demandes, dont mariage, je suis vivante, là, parmi vous, respirante, mon coeur, un coeur, comme un autre, bat, réagit, brûle, nous pouvons nous parler, nous toucher, je vous sentirai, je saurai que l'on a effleuré ma peau, je connaîtrai le geste, je suis ici, je suis là, pourquoi donc personne, jamais, ne profite de moi, pourquoi personne ne vient-il seulement prendre ce qui est offert?
Et pourquoi moi non plus ne regarderais-je pas autour de moi? Pourquoi moi aussi, toujours en attente, concentrée sur moi?
Tu vois, par exemple, ça fait dix minutes que j'ai commandé un thé, le mec s'agite, tourne, donne des ordres, mais mon thé, RAF man, this is Africa.
J'ai recommandé.
Sur l'écran maintenant ils donnent des conseils pour guérir l'acné, à base de jus de concombres.
Un milliard de mecs.
Ouf.





Heureusement qu'on n'est pas un milliard de Français, ça ferait autant de connards.
Non pas aigrie, commun accord, pour le mieux tout ça.
Comment ça s'appelle déjà?
Constat à l'amiable?
En même temps, normal que ça m'affecte pas tant que ça. T'as vu comme je suis prise en charge? Taken care of? L'Inde, je parle.
Toutes les européennes font ça.
Départ bourrée pour l'étranger.
Avec Prozac?
L'étranger. Avec espoir.
Même quand dépression, suicide, prostitution. Etranger, avec espoir.
Sinon on saute du pont.
Sinon on aurait déjà sauté du pont.
Départ parce qu'espoir.
Toute seule maintenant à ma table.
Nul indien ne m'a jamais sauté dessus et j'ai toujours pas de thé. Mais espoir.







Le thé est venu.

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