mardi 30 novembre 2010

Les Parques

Il y avait cet homme, mon amour, ô, mon amour, et nous arrivons à Berlin, ce grand homme solide, dans son bleu de travail bruni, mouillé, qui dit, tremblant dans sa bergerie:
" Toutes les brebis attendaient dans les barques".


Mais c'était un lapsus, mon amour, ô mon amour, il voulait dire "les parcs", il voulait dire enfermées, incapables de bouger, se noyant, verticales et silencieuses, 
et qu'il les regardait mourir. 

Les brebis étaient dans les barques, mon amour, et nous arrivons à Berlin.





vendredi 26 novembre 2010

Dans l'escalier, il avait les yeux bleus.
Et un enfant.



Il a un enfant.








©Jan Saudek



*



Ô,
Les brèves heures durant lesquelles
Je fus
La dernière femme À laquelle
Il avait fait l'amour

lundi 15 novembre 2010

Lorsque nous dormirons bouche à bouche, dans l'éternité sans paroles



Un homme habite chez moi. Il a un chat. Qui le suit à chaque pas. Je suis allergique et ne m'approche pas.
Je les regarde évoluer tous deux ainsi, ouvrir mon frigidaire, prendre du lait, deux oeufs. Ils petit déjeunent en musique.

Seule dans la chambre restée entrouverte, je mets un chapeau à voilettes.
Dans la glace, je me découvre désirable et tragique.
J'aimerais garder cette expression, faire mon entrée dans le salon, et qu'il me voit, qu'il me remarque.
Alors je m'assierais avec une longue cigarette, et ne tressaillerais pas, malgré la brûlure, mais laisserais la fumée m'envelopper d'un halo nébuleux.



J'enlève mon chapeau.



Je le repose sur son support.





*

I'm not me, the horse is not mine



Elle hurle, et j'ai envie de hurler avec elle. J'ai trop couru dans les bouchons, trop pleuré dans les embouteillages, dans les feux rouges, les trahisons, j'ai bu la pluie qui dévalait le long de l'extérieur des vitres, telles autant d'avalanches.

J'ai croqué dans une pomme gratuite, y a quelqu'un qui dort à ma place, je suis vivante et mon coeur bat.

Dans mon sac le tabac, la respiration, du souffle, enfin mérité, je ne baillerai pas je ne baillerai plus jamais, trop d'attente trop d'envie trop d'espoir trop de faim de soif de mal à pas tout faire tout de suite là maintenant et laissez moi hurler Dieu laissez moi être quel homme quelle femme, et l'autre ne vient pas, et cela ne me blesse pas, je ne sais finalement pas trop quoi en faire, de lui.

dimanche 7 novembre 2010

Mensonge du 5 novembre au soir.


Mensonge du 5 novembre au soir.


Je suis jeune, je rentre chez moi, j’habite chez un homme. Il est grand et son corps rappelle le serpent. Lorsque nos regards se croisent, je baisse les yeux de gêne. Il la prend pour un émoi, un manque de confiance en moi, une volonté de cacher un chaste rougissement, quand je baisse les yeux par peur, par dégoût de malaise mêlé. Il a les traits d’un homme que je ne connais pas, face à lui me viennent des mots lointains, autres, aliénants, les mots d’une vie qui n’est pas mienne. Face à lui les peurs m’étreignent, je baisse les yeux pour en faire mon amant.
Dans ses bras l’extase me prend, je m’abandonne, mais toujours, à chaque fois, cette critique permanente, ce décalotage de l’être et de nous, étants- allongés là, sur un lit blanc, nos chairs se touchant, en-dessous, au fond, squelettes, squelettes étendus côte à côte, sans raison.
Comme si les gens avaient attendu de trouver quelqu’un pour rentrer à la maison.
La vie en couple.
Que je n’arrive pas à mener.

Bientôt...



Bientôt je ne me souviendrai plus, plus comme ça.
Bientôt il sera loin, je pourrai vivre. Je sais vivre sans lui, il n’est déjà pas là, il a été là une, deux, dix heures. Dix heures avec moi.
Une impulsion, que je réfrène.
Le matin.
Le matin de la fin.
Et toujours, jouer la belle, sourire, légère, toujours, ne jamais dire.
Il a été gentil. Il a été doux.
Il s’est éteint, cadavre de la salle de bains, pour mieux revenir me faire l’amour.
J’aimerais lui offrir cette mélancolie, les mots m’ont eues. 
Cette musique, simplement lui offrir cette musique.


Ses ongles sur ma peau, je n’avais pas realisé leur nature veritable. Et avec eux me revenait le ronronnement des chats, la brûlure d’un feu, le bien être immense, total, l’abandon absolu.
Rare.
L’envie.
Naturellement, tout naturellement.
Il faudrait écrire, il faudrait dire, pour ne pas oublier.
J’oublierai. 

jeudi 4 novembre 2010

C’était le petit matin, la lumière était claire, pure, limpide, fébrile. Non, celle qui était fébrile c’était moi, et il était une heure et quart, pas huit.
Dans l’escalier ça sentait encore le pain de la boulangerie d’à côté, j’avais fini par saisir, dans l’un de ces accès soudains de lucidité éthylique, la raison de la présence chaque matin d’un grand nombre de baguettes à peine défraichies dans la poubelle de la cour.

Le tout communiquait. Et je le lui dis.

Chez moi, mais pas chez moi. La clef, mais pas les rouages, ou tout juste.

Devant la porte, ses yeux s’attardaient sur mes lèvres. Oui. Aurevoir. Je m’étais regardée une dernière fois dans le miroir, mais j’étais consciente de mes cheveux défaits, des lunettes qui les retenaient, de la hanse du sac sur mon épaule, le poids de ma vie du week-end achevant de coller une longue robe blanche et légère à mon corps moite.

Longtemps j’étais restée allongée près de lui, dans cet éclair de robe à la fermeture ouverte.

Impossible de dormir, impossible de fermer l’œil, sans doute mon cœur battait-il encore, comme hier soir même et comme aujourd’hui je continue de le sentir, donnant le change, cachant l’affolement. La surprise de mes mains découvrant ce corps, ses cils, quelques heures après.

De ceux qui rendent les femmes jalouses.