mardi 11 janvier 2011

Rêverie du soir espoir- Gokarna





Quel jour sommes-nous?
Le 29. Je le sais car mon portable a marché tout à l'heure quand nous étions dans la ville de Gokarna, charmante bourgade malheureusement mangée par les boutiques pour touristes hippies qui par leurs couleurs criardes et leur côté clinquant attirent le regard et font oublier les façades vêtustes et somptueusement salies des temples, des habitations délabrées.
Je sais aussi que nous sommes mercredi car j'ai pris ma pilule ce matin.





Nous sommes arrivés hier matin, après une journée dans les bus. Tuk tuk de Sera Jey à Kushal Nagar, bus jusqu'à Hassan car les routes étaient bloquées pour travaux, puis dans la foulée jusqu'à Mangalore, grosse ville dans laquelle nous renouons avec le bruit et la pollution.
Nous passons la nuit dans une enième lodge qui nous promet une eau chaude qui n'existe pas, mais qu'importe.

Le soir, il ne fait pas chaud et la serviette vient parfois à manquer.

Nous mangeons au KFC pour goûter, et se remplir un peu l'estomac d'autre chose que les trois pommes sans saveur avalées dans le bus. Ce n'est pas la saison des mangues.

Réveil à 5h du matin pour attraper le train à 10 min à pied. Les pélerins sont déjà réunis autour et dans le temple qui fait tinter la cloche de la prière.
Le train est un ravissement, une sorte de sous marin nucléaire alignant des rangées de ventilateurs rouillés, nous avons une place à la fenêtre grillagée, pour éviter les vols à la tir du démarrage poussif. Le volet est mal fixé et de temps en temps, presque régulièrement, tombe comme un couperet.





Petit à petit, le wagon se remplit, nous sommes les seuls blancs.
Les vendeurs de tchai et de café défilent, le vent nous décoiffe et le paysage est sublime.
Des écoliers attendent le long des passages à niveaux, des hommes se brossent les dents, d'autres posent des briques rouges sur de futures demeures, les vaches paraissent, les barques des pêcheurs s'éloignent sur les rivières, des femmes battent leur linge coloré.




Nous arrivons dans ce paysage paradisiaque et irréel qui me rappelle que le bouquin "La Plage" serait à relire.
Les couples mangent de la pizza et me polluent par leur musique, c'est jonché de blancs, de yogistes et de gens souriants.
On se dit "Namaste" entre européens, il y a des salades et de la soupe, une mer à température parfaite, la jungle, des cases de terre couleur argile, une douche à ciel ouvert dont le robinet explose pour laisser jaillir une eau rafraîchissante et claire, de quoi poser un hamac, de petites fioles de vodka, rhum et whisky à mélanger au pineapple juice pressé, achetées comme au noir dans un bar glauque à l'ambiance suffocante et moscovite.
Sur la plage, pas un moteur, pas un klaxon, mais le roulement des vagues, derrière les temples, des familles en pélerinage qui vous accueillent comme dieux tombés du ciel pour venir partager leur repas, cuits dans d'énormes marmites au feu de bois en bord de falaise, du riz, du curry aux légumes, du curd salé, de la coco sur feuille de bananier.
Des indiens nous proposent de l'acide et on se demande dans quel coin trouver un peu de répit de la foule, mais il fait extrêmement bon vivre, que c'en est un cliché.



Quelques touristes moins touristes que nous, drôles, particuliers et vraiment sympathiques, la fatigue à la tombée de la nuit, pas d'angoisse, du plaisir et la douceur de vivre.
Croisé un cobra, puis sa mue, impressionnante et longue.
Le matin nous marchons en équilibre sur les rizières non cultivées pour atteindre la plage, et le café-pizzeria où nous prenons tous nos repas et d'où j'écris ce soir.
Les vieux sourient, le visage empreint d'une infinie bonté, lorsque nous leur donnons dix roupies.
Ici pas de mot pour dire merci, la gratitude se transmet par les yeux, et je ne peux m'empêcher de le faire à la marocaine, la main portée plusieurs fois au coeur.
Car ils sont véritablement très généreux. Les femmes portent des saris, et tous les blancs des vêtements pseudo hippies, qui doivent donner de nous une curieuse image.
Un couple semble s'emmerder à cent sous de l'heure et n'avoir strictement rien à se dire.
Ne pas, ne jamais en arriver là.
Beaucoup de personnes âgées également, parfois des soixantenaires à la limite des moines, ou des femmes aux cheveux teints au henné, tatouées, bandeau sur le front, pantalon large flottant.
Je pense qu'il ne faut pas prendre de photos de cet endroit, le réduire à un cadre, mais tenter de le saisir autrement.
Le sentiment si fort le jour du départ, de ne pas avoir envie de laisser mon lit, de quitter tout cela, de partir dans cette nuit froide et glaciale pour aller retrouver Chandra, Chandra, pas vu depuis deux ans, qui n'a quand même pas la vie la plus marrante.
Je suis putain de pas à plaindre et je me la coule quand même sacrément douce.
J'aurais pu me réveiller à quatre ans, et voir mes parents me décreter moine bouddhiste.
Toi, ma poulette, je vais t'envoyer dans un monastère et tu vas apprendre des textes par coeur pour les vingt-cinq années à venir.



Pas de femme, pas de clopes, pas de musique, pas d'alcool.
Entre deux pujas, t'iras débattre dans la cour, en tapant une paume sur l'autre pour lancer ta question, telle une flèche de sagesse à ton voisin. Puis, s'il répond à côté de la plaque, tu dessineras dans l'air au dessus de sa tête une sorte de vague signe international du doughnut, pour exprimer la honte.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire