mardi 11 janvier 2011

Rêverie du soir espoir- Gokarna





Quel jour sommes-nous?
Le 29. Je le sais car mon portable a marché tout à l'heure quand nous étions dans la ville de Gokarna, charmante bourgade malheureusement mangée par les boutiques pour touristes hippies qui par leurs couleurs criardes et leur côté clinquant attirent le regard et font oublier les façades vêtustes et somptueusement salies des temples, des habitations délabrées.
Je sais aussi que nous sommes mercredi car j'ai pris ma pilule ce matin.





Nous sommes arrivés hier matin, après une journée dans les bus. Tuk tuk de Sera Jey à Kushal Nagar, bus jusqu'à Hassan car les routes étaient bloquées pour travaux, puis dans la foulée jusqu'à Mangalore, grosse ville dans laquelle nous renouons avec le bruit et la pollution.
Nous passons la nuit dans une enième lodge qui nous promet une eau chaude qui n'existe pas, mais qu'importe.

Le soir, il ne fait pas chaud et la serviette vient parfois à manquer.

Nous mangeons au KFC pour goûter, et se remplir un peu l'estomac d'autre chose que les trois pommes sans saveur avalées dans le bus. Ce n'est pas la saison des mangues.

Réveil à 5h du matin pour attraper le train à 10 min à pied. Les pélerins sont déjà réunis autour et dans le temple qui fait tinter la cloche de la prière.
Le train est un ravissement, une sorte de sous marin nucléaire alignant des rangées de ventilateurs rouillés, nous avons une place à la fenêtre grillagée, pour éviter les vols à la tir du démarrage poussif. Le volet est mal fixé et de temps en temps, presque régulièrement, tombe comme un couperet.





Petit à petit, le wagon se remplit, nous sommes les seuls blancs.
Les vendeurs de tchai et de café défilent, le vent nous décoiffe et le paysage est sublime.
Des écoliers attendent le long des passages à niveaux, des hommes se brossent les dents, d'autres posent des briques rouges sur de futures demeures, les vaches paraissent, les barques des pêcheurs s'éloignent sur les rivières, des femmes battent leur linge coloré.




Nous arrivons dans ce paysage paradisiaque et irréel qui me rappelle que le bouquin "La Plage" serait à relire.
Les couples mangent de la pizza et me polluent par leur musique, c'est jonché de blancs, de yogistes et de gens souriants.
On se dit "Namaste" entre européens, il y a des salades et de la soupe, une mer à température parfaite, la jungle, des cases de terre couleur argile, une douche à ciel ouvert dont le robinet explose pour laisser jaillir une eau rafraîchissante et claire, de quoi poser un hamac, de petites fioles de vodka, rhum et whisky à mélanger au pineapple juice pressé, achetées comme au noir dans un bar glauque à l'ambiance suffocante et moscovite.
Sur la plage, pas un moteur, pas un klaxon, mais le roulement des vagues, derrière les temples, des familles en pélerinage qui vous accueillent comme dieux tombés du ciel pour venir partager leur repas, cuits dans d'énormes marmites au feu de bois en bord de falaise, du riz, du curry aux légumes, du curd salé, de la coco sur feuille de bananier.
Des indiens nous proposent de l'acide et on se demande dans quel coin trouver un peu de répit de la foule, mais il fait extrêmement bon vivre, que c'en est un cliché.



Quelques touristes moins touristes que nous, drôles, particuliers et vraiment sympathiques, la fatigue à la tombée de la nuit, pas d'angoisse, du plaisir et la douceur de vivre.
Croisé un cobra, puis sa mue, impressionnante et longue.
Le matin nous marchons en équilibre sur les rizières non cultivées pour atteindre la plage, et le café-pizzeria où nous prenons tous nos repas et d'où j'écris ce soir.
Les vieux sourient, le visage empreint d'une infinie bonté, lorsque nous leur donnons dix roupies.
Ici pas de mot pour dire merci, la gratitude se transmet par les yeux, et je ne peux m'empêcher de le faire à la marocaine, la main portée plusieurs fois au coeur.
Car ils sont véritablement très généreux. Les femmes portent des saris, et tous les blancs des vêtements pseudo hippies, qui doivent donner de nous une curieuse image.
Un couple semble s'emmerder à cent sous de l'heure et n'avoir strictement rien à se dire.
Ne pas, ne jamais en arriver là.
Beaucoup de personnes âgées également, parfois des soixantenaires à la limite des moines, ou des femmes aux cheveux teints au henné, tatouées, bandeau sur le front, pantalon large flottant.
Je pense qu'il ne faut pas prendre de photos de cet endroit, le réduire à un cadre, mais tenter de le saisir autrement.
Le sentiment si fort le jour du départ, de ne pas avoir envie de laisser mon lit, de quitter tout cela, de partir dans cette nuit froide et glaciale pour aller retrouver Chandra, Chandra, pas vu depuis deux ans, qui n'a quand même pas la vie la plus marrante.
Je suis putain de pas à plaindre et je me la coule quand même sacrément douce.
J'aurais pu me réveiller à quatre ans, et voir mes parents me décreter moine bouddhiste.
Toi, ma poulette, je vais t'envoyer dans un monastère et tu vas apprendre des textes par coeur pour les vingt-cinq années à venir.



Pas de femme, pas de clopes, pas de musique, pas d'alcool.
Entre deux pujas, t'iras débattre dans la cour, en tapant une paume sur l'autre pour lancer ta question, telle une flèche de sagesse à ton voisin. Puis, s'il répond à côté de la plaque, tu dessineras dans l'air au dessus de sa tête une sorte de vague signe international du doughnut, pour exprimer la honte.


Avant avant avant dernier jour 2010




Dans le premier train de l'Inde, de Mangalore à Gokarna.
Barreaux aux fenêtres et lever du soleil.
Terre rouge, lacs, hommes qui au loin se grattent à travers leurs torchons-shorts, ces serviettes parfois blanches avec un simple trait de couleur, façon cuisine, qu'ils laissent tomber le soir comme une jupe et relèvent la journée pour dégager leurs jambes.
Nous avons quitté les moines de Sera Jey, leur gentillesse, leur cuisine, et leur façon de dire "good".



"Tibetan patar Tibetan matar... same same... puja... no problem".

J'aurais sans doute pu passer une semaine avec eux, facile.
A la Zelenkovac, sauf qu'à la place de la bière, ç'aurait été du thé, en guise de rakia, la Puja, et en place du désir, le Dalaï Lama.



Le train est beaucoup moins bumpy que le bus.

Mon voisin de gauche baîlle à la manière d'Alyne lorsqu'elle est fatiguée, que moi aussi, et que cela m'énerve.
Commencé à lire les enseignement de Sa Sainteté qui sont riches et intéressants et en même temps très difficiles à appliquer, car véritablement orientés vers la pureté et l'amour, duquel on aurait ôté toute envie, sexualité, possessivité. Un amour maternel pour le monde et ses habitants.
Je ne suis pas assez pure et n'ai pas assez envie de l'être.

Comme souvent dans les voyages, lorsqu'on a trouvé un oasis de paix, le retour à la réalité du pays se fait dur. On en veut aux habitants- que deux jours plus tôt l'on aimait, qui jusqu'à présent nous touchaient, nous faisaient rire, que nous observions avec passion- de ne pas être ceux que nous laissons derrière nous, nos proches, nos emplis d'affection, nos connus. Nos moines.





Me and my monk in the monastery. Me and my monk sipping butter tea.
Et la langue et les voix continuent d'avoir tant d'importance.
Le Tibétain était doux à l'oreille, quand le tamoul et le kannada sont trop rapides, trop aigus, trop forts, trop emplis des mêmes sons répétés, roulés à l'infini, sans mélodie.
Ils peinent à comprendre notre anglais et souvent il nous faut rouler les r pour qu'enfin un mot simple soit compris d'eux, soit entendu. "Train? Train? Trrrrrain?"

Dans le bus hier, un jeune indien aurait eu sa première bandaisonpapa à nous voir cahin cahiner dans le bus bringuebalant.
A trois puis à huit sur la banquette, et encore, nous pourrions nous serrer.
Après une journée dans le bus, il me faut trois cotons recto-verso pour venir à bout de la poussière et de la crasse qui enduit mon visage.
Mais absolument pas malade, au contraire, grand appétit.



Notre chapelet au poignet nous rappelle quand même à la spiritualité qui nous manque, à notre potentielle capacité de contempler nos émotions sans par elles nous laisser submerger. Cela fait du bien, car du coup, les émotions vécues sont celles que l'on désire vivre véritablement, qui valent la peine d'être expérimentées pleinement.
Enfin, quand on parvient à choisir, évidemment, ce qui n'est pas toujours le cas.



L'homme à ma gauche a les yeux fixés sur ce que j'écris mais comme il ne comprend rien, tout va bien.
T'es moche. Beurk. T'es gros. Tu prends de la place. Tu m'écrases un peu.

Le thé ici est très bon mais extrêmement sucré, et quand ce n'est pas la poussière qui nous colle aux dents c'est le sucre.



Les hommes nous regardent beaucoup, ce qui n'est pas toujours pour me déplaire, même si par moments c'est lourd et fatigant. Tout dépend en réalité de la journée écoulée.
Des travs passent dans le train, maquillées, bijoutées, apprêtées, tapent dans leurs mains devant les hommes, comme pour éloigner un mauvais sort, et reçoivent un billet de 10 roupies.

No woman no cry religion

Salim, donc.
En soi pas un mal, simplement, à la fin de la journée, une tristesse, une lassitude, un besoin de plonger dans autre chose, et de manière sûre, de pouvoir donner sans avoir à se poser la question de savoir à qui? pourquoi? qu'en feront-ils? Pouvoir avoir confiance, et se laisser aller.
Bien sûr, c'est le lot de chaque voyage, mais on projette toujours tellement sur l'Inde et sur sa spiritualité qu'il est difficile de ne pas aspirer à n'en voir que cela ou presque, et les masses, et les affux de touristes sont d'autant plus difficiles à digérer.



Veille du réveillon de Noël 2010

Vivier est mort et sera enterré demain à 10h30, heure française.
Posé quelques bougies devant le temple de Shiva à Tiruvanamalaï. Sans doute l'un des mots les plus prononcés pendant vingt-quatre heures.



Le cache-cache le plus mystique auquel il m'ait été donné de jouer.
Peuplé de temples silencieux, brûleurs de cierges et d'offrandes allumées, les larges trottoirs de céramique blanche et rouge, plus larges que les rues de Chennai ou presque, et silencieux, enfin.
Parfois un portable diffuse une musique entraînante et hindou, un truc un peu transe, qui se prête à cette marche de 14 kilomètres que nous ignorons encore.
La température est idéale et on se sent protégé, presque en famille.
Les habitants parlent mal anglais, mais comprennent ce mot sans cesse recommencé, mains jointes, rire partagé, car tout cela est avant tout fort drôle: "Tiruvanamalaï? Here or there?" "Tiruvanamalaï?"
J'y croyais, comme je croyais à l'envolée de Lyd, à présent à nos côtés.
D'une part je ne pouvais pas me dire que tous ces indiens s'étaient vraiment ligués pour égarer les deux blancs du quartier, et je voulais croire à la possibilité d'une île, le "Paris a tourné!" enfin réalisé, quand  en vérité c'était nous qui tournions, autour de la montagne.



Un brahman que je peinais à comprendre et qui fermait les yeux pour mieux chanter Shiva.
Envie de prendre à son tour de cette pâte vermeille et de se l'appliquer sur le front pour un peu tout- indienne, mystique, croyante et investie, pour la beauté, le geste, pour le toucher, l'application par le pouce de cette terre un peu rêche, pour enfin croire à la réincarnation.

Plus sereine et détachée depuis quelques jours, mais sans doute besoin de plonger au coeur du truc, ce vieux fantasme de pleurer dans les bras d'un moine.

Comme en Chine, ils te saluent doucement lorsque l'avion décolle.
Le temps devant nous, immense et minuscule. La vie devant soi, si précieuse et redoutable de légèreté, d'arrêt tangible, de brisure potentielle.
Prendre. Donner. Être là. Profiter.

Il y en a qui demandent, qui mendient, qui viennent pincer pour se rappeler à notre bon souvenir de blanc dont la pochette de sécurité recèle une deuxième carte bancaire, mais pour la plupart, ce sont des sourires, le bonheur de nous découvrir, de nous parler, d'apprendre d'où nous venons.
Un sourire en retour éclaire leur visage, comme un cadeau qui les honorerait et les ferait presque rougir de plaisir.
L'interaction est bien plus importante qu'ailleurs, le flot d'émotions circule, connectant les individus, les liant un instant par quelque chose de chaleureux, de pur, une forme d'amour.

Les enfants sont joueurs et malins, sans manquer de respect. Ils sont curieux et fascinés, heureux et rieurs, demandent mais n'obligent pas, regardent mais ne touchent pas.
En cela, ils sont extrêmement agréables, puisque selon le principe des contraires, ils donnent par conséquent forcément envie de se rendre vers eux, de leur répondre, et de rire de concert.



Devenir prof et voyager six mois par an?
Un jour peut-être.
Pour l'instant, que ferais-je de mes journées? Perdre sa vie à la gagner.
Mieux vaut ne pas réfléchir ainsi. Mais un jour peut-être.

Quel était le but de ce lépreux à Tiruvanamalaï?
Rester en vie? Récolter assez chaque jour pour s'offrir du riz en banana leaf, et l'arroser d'un peu de sauce? Un traitement qui empêche la lèpre d'avancer? Un but, malgré tout, comme au délà de toute réflexion, une évidence, un réflexe, un automatisme: je suis en vie, autant y rester.
- T'es où, là?
- En vie.
Envie.

lundi 10 janvier 2011

Enfermée, femme mariée- Chennai, mensonge n° 3

Assise sur un toit indien à la tombée du soir.
J'ai pris des photos pour voir à quoi je ressemble d'un autre oeil parce que découverte et aussi parce que je m'emmerde Albert à jouer les épouses éplorées.
- Mais Papa je l'aime.
- RAF, bitch, tu la fermes et je t'enferme.



Et ainsi Roméo et Juliette et ho ho ho et une bouteille de rhum. Frelaté.
Le pot de beurre, c'est révolu.

Quitter mon boulot, devenir prof à l'étranger, le reste du temps écrire et chevaucher les monts boliviens, avec lui, avec Titicaca.
En fait c'est vraiment pas le pire puisque d'un côté clair comme de l'eau de roche et de l'autre honnête et franc DONC seul problème, moi, et mes perpétuels fantasmes.
Stop it like it's hot.

Première chauve-souris du soir espoir, j'ai réussi à monter sur le toit.
Mes beaux parents ne sont pas là puisque mère-grand malade god bless her soul elle ne me veut pas de mal.
Les promesses et tout le bazar, je me suis complètement fait avoir.
Faite avoir?
Faite avoir.
L'appel à la prière monte lentement quand moi je veux une bière.
Le cadenas est verrouillé quand moi je veux aller danser.
Moi je moi je, moije, moij, oui, l'Empire de mon Ego, et qu'y a-t-il d'autre qui compte?
Vous ne vous rendez pas compte?
Vous me maintenez prisonnière, prisonnière, j'emploie le mot l'injure l'offense, l'applique sur ma bouche comme autant de rouge vermeil de rouge sang de l'accusation et jamais ne dirai mot mais vous regarderai et alors glacés car fille de méduse et fille de pieuvre, je sais où je vais je sais de qui je tiens, les moustiques arrivent, sucez, sucez donc, puisque plus ne le puis, ils m'ont séparée de lui, mais j'amais n'abandonne, la nuit sur moi tombe mais le feu brûle en moi et le rose à l'horizon scintille et m'accompagne, je sais et je ferai.

Ô, toi, je voudrais pouvoir te dire combien de un et de deux et de trois mille six cent quatre vingt nous pourrions faire de toi pour moi et les toons ici présents réunis, car c'est à eux que ma fortune je dédis et tout le monde klaxonne à l'extérieur et moi que puis-je faire seule engoncée dans la misère, dans le décor, il a des locks et passe par Hong Kong, quand j'aimerais être assise Rue de Lille à fumer des clopes.

Bah oui parce qu'enfermée ils m'ont enfermée.
Quel grand mot de quel grand auteur? Déjà Lenny Cooper c'est pas mal.
Cent ans de solitude ici, la nana qui mange de la terre glaise, celle avec laquelle je faisais de la pâte à modeler, et aaaaaaaah, je voudrais aller me promener, Ô, toi, j'te jure, tant et tant que je voudrais tout recommencer.
Y a pas d'araignée dans cette maison, pas de toiles. C'est noir et huileux, mais c'est propre. Et vert, partout, sur les murs. Comme si j'étais malade pendant 24 heures, alors que non, absolument pas malade, mais alors laissez moi sortir, sourire aux gens, prendre leur visage entre les mains, les embrasser, leur dire que je les aime même si c'est un mensonge.

Mensonge du 21 décembre au soir.
Je suis seule, de l'autre côté du globe. Mon aimée ne me rejoindra pas. No sex last night et plus d'espoir. Son corps tiède et moite, son ventre de chair pétri, la douceur de ses lèvres sur l'intérieur de mon poignet, la manière qu'elle avait d'effleurer la courbe de mes seins, tout cela n'existe plus.
Je suis seule du côté de cette terre, dans un pays désiré que je ne peux regarder.







- Donc euh, tu t'en fous c'est ça?
- Mais non Isabelle
- J'm'appelle pas Isabelle.

Chennaï- mensonge n° 2, l'après midi

Certains hommes ont des regards bosniaques.
Troublants de vie et de profondeur. Le contact physique avec les aliments, les condiments, contact ne passant pas par la bouche, contact autre que celui de l'enfant, fait-il davantage appel à la sensualité?
Les couples indiens mangent-ils au lit?
Oh non, ils m'ont apporté une serviette et de quoi me rafraîchir la bouche d'anis. Est-ce le départ? Les quitter?
Vous mes frères, mes marins, tels les arbres?
Ou est-ce pour mon voisin disparu? Je devrais apprendre à nouer le tissu ainsi de manière à ne pas trop souligner les hanches. C'est joli, pieds nus, les hanches.
Envie de retourner me balader? Je ne sais pas encore.
J'aime et découvre et aime à découvrir.
Je souris de l'absence de mes dents. Si présentement je prends une serviette en papier et m'éclipse pour aller me moucher, ils vont tous penser, cette occidentale, elle a rien pigé.
Mais impossible de le faire sans qu'au moins l'un ne me voit. Toujours une paire d'yeux rivée sur moi.
Au rythme des brises et des ventilateurs. Agréables d'ailleurs.
Ma jupe se soulève et l'on doit voir mes bleus. Femme battue en Inde.
A couture défaite, traînant dans les égouts. Mexique dans la Mousson. Voyage, voyage.
Enfin le café se vide lentement.
Il est trois heures.
Je ne suis plus du tout décalée.



J'arrive à la fin, à la fin des moyens, déjà.
Le pied.
Sollicité et intégral.
Viens, mon amour, reprenons la vie que j'avais.
Tu joueras au gré des cours, j'écrirai, je flirterai, pour mieux te plaire et toujours me loverai dans tes bras, tu seras libre et léger, tu me raconteras je me tairai, un peu gênée, un peu surexcitée parfois, rieuse ou solitaire, je te regarderai être, et malgré tout, malgré toujours, t'admirerai.
Nous serons beaux vagabonds et nous nous laisserons faire ensemble, chacun.
Mon amour, bientôt mon ami, pas encore mon frère.




Toutes ces autres conneries ne m'intéressent pas (Chennaï)

Qui sait ce que je veux et ce que je ne veux pas? Assez de projections, de vos pauvres fantasmes, j'ai les miens, et compte bien continuer à m'en occuper, quand j'aurai de vraies questions je viendrai vous consulter, mais tant que nous restons dans le flou artistique qui m'est cher, laissez-moi faire.
Qu'y a-t-il à retenir de l'Inde?
Que l'hospitalité est incroyable, et touchante, mais que finalement notre liberté et manière d'y trouver tous ensemble notre compte est un vrai bonheur.
J'ai marché le long de cette avenue incessante, à la recherche d'un café.
L'homme qui tient le restaurant a un cancer de la gorge et est obligé d'appuyer un petit appareil dessus pour qu'on l'entende parler. Ils me foutent dehors. Je vais payer.




Dix minutes de déambulation et je me retrouve dans un nouveau resto, celui-ci fait du café. Je me sens à nouveau un peu honteuse de ne commander que cela. Mais l'atmosphère en vaut la honte.
Pratiquement que des hommes qui tous mangent avec la main dans de grandes assiettes en fer blanc, parfois recouvertes d'une feuille de bananier.
Tellement agréable de toucher ainsi ces aliments et de manger à même quelque chose de végétal et qui, selon les dires, protégerait du cancer.
Comme papier toilette et mouchoirs ne sont pas d'usage ici, cela fait un peu deux jours que je suis enrhumée. Réaction à la pollution. Leur café est délicieux, au lait, épicé.
Chacun s'assied où il peut et veut, ce qui fait que je suis assise face à un homme un peu bedonnant, en chemise bleu-vert et à un petit, look étudiant, qui semble très heureux de faire chair.




Le problème est que certes, tout le monde parle anglais, mais ce n'est quand même pas leur langue maternelle, et du coup, les rapports restent ceux d'une touriste à des autochtones. Y a des courants d'air chauds partout tout le temps, genre Hollywood chewing-gum sauf que là, les cheveux frisent, ondulent n'importe comment, humidité ambiante et mousson.
Mais la température est idéale, et c'est rare de le penser comme ça.
L'autre problème est que c'est l'heure de déjeuner et du coup tous les cafés se blindent, et pour une pute qui veut juste un café, c'est pas très rentable.
Enfin.



Mensonge de quatre jours avant Noël.
Je suis partie pour mieux ne plus penser à lui. Au lieu de sa peau, de ses mains, c'est désormais la moiteur qui me colle au corps. Parmi la foule, le bruit, les odeurs, parmi les regards, sourires, les appels, au sein des doutes, klaxons et confusions, dans le piment le café la pluie, le sucre, le vent levé, l'envie, partout, toujours, je le retrouve.
Dans les couleurs, les turbans, les peaux bronzées, dans le bonheur, les tourments, les fleurs fanées, dans la rue face aux chiens, dans les cafés, frottée aux hommes, dans les rickshaws, à négocier, tentant de sourire, à la plage, au marché, à l'hôtel, impersonnel, dans la chambre l'hospitalité, partout, toujours, je le retrouve.
Ne pas penser à ce qu'il fait en ce moment.
Nos vies sont séparées, chacun la sienne et les vaches sacrées seront bien gardées.
N'est-ce pas là l'un des enseignements? Ne devons-nous pas commencer à comprendre, à bâtir, à faire nôtre notre route?
Pourquoi toujours séparer le chemin de nos pas de celui de nos pensées?
Je foule le sol indien, la poussière, les flaques d'eau tièdes, et les déchets, mes pieds gris de poussière et de sable, qui ont perdu leur odeur au contact de tant d'autres.
Mais mon âme?
Et si je devais me faire renverser à la minute, réintégrerait-elle la réalité de mon corps, la présence à cette physicité?
Je suis là pour être aimée.
Sur l'écran défilent des voeux de Noël, des recettes pour gâteaux traditionnels.
J'ai quitté les miens et les siens.
Seuls ils se réuniront au pied du sapin.
La puce à l'oreille? Pourquoi?
Lui-même ne devait pas le savoir.
Pourquoi aurais-je dû me torturer à apprendre avant lui la fin de notre histoire?
Je ne suis pas de celles qui vivent du tourment. Aujourd'hui, si, mais c'est différent. Aujourd'hui le tourment est petit-déjeuner, réveil en sursaut, rassurante rumeur du ventilateur, chanson agaçante des moustiques porteurs de paludisme. Je ne me protège pas.
Une bonne fièvre qui me fasse perdre la raison, moi qui ai depuis deux mois la tête pesante sur les épaules.
Je ne sais pas, je ne sais plus, je ne sais pas si j'ai jamais su.
Rester légère, mais concentrée, comme la tomate.
Simplement retrouver l'habitude de penser pour soi, sans référent, de marcher seule dans la rue, de coucher avec des inconnus, en s'accrochant à son plaisir.
D'avoir à nouveau le temps.
De pouvoir faire, immédiatement, sans consultation.
Livrons-nous, puisque nous ne nous comprenons plus. Du baume à l'âme. Liberté, libération. Nous ouverts, moi à toi, et un tour à l'envers, toi à moi, un tour à l'endroit.
Je t'aime encore car j'en ai l'habitude, je t'aime encore car c'était ma principale occupation.
Et où vais-je dans cette temporalité, qu'est-ce à dire, à faire, à penser? Venez me voir, ô, indiens, sortez-moi de cette torpeur, de ce malheur, de tout ce que ma vie a de papier maché, de carton pâte, de fausseté, de coeur?
Tout semble en moi, et en ce que j'éprouve, illusoire, cela ne devrait pas se passer comme ça. On ne devrait pas me laisser tranquille, me laisser en paix, on devrait m'assaillir de questions, de réponses, de demandes, dont mariage, je suis vivante, là, parmi vous, respirante, mon coeur, un coeur, comme un autre, bat, réagit, brûle, nous pouvons nous parler, nous toucher, je vous sentirai, je saurai que l'on a effleuré ma peau, je connaîtrai le geste, je suis ici, je suis là, pourquoi donc personne, jamais, ne profite de moi, pourquoi personne ne vient-il seulement prendre ce qui est offert?
Et pourquoi moi non plus ne regarderais-je pas autour de moi? Pourquoi moi aussi, toujours en attente, concentrée sur moi?
Tu vois, par exemple, ça fait dix minutes que j'ai commandé un thé, le mec s'agite, tourne, donne des ordres, mais mon thé, RAF man, this is Africa.
J'ai recommandé.
Sur l'écran maintenant ils donnent des conseils pour guérir l'acné, à base de jus de concombres.
Un milliard de mecs.
Ouf.





Heureusement qu'on n'est pas un milliard de Français, ça ferait autant de connards.
Non pas aigrie, commun accord, pour le mieux tout ça.
Comment ça s'appelle déjà?
Constat à l'amiable?
En même temps, normal que ça m'affecte pas tant que ça. T'as vu comme je suis prise en charge? Taken care of? L'Inde, je parle.
Toutes les européennes font ça.
Départ bourrée pour l'étranger.
Avec Prozac?
L'étranger. Avec espoir.
Même quand dépression, suicide, prostitution. Etranger, avec espoir.
Sinon on saute du pont.
Sinon on aurait déjà sauté du pont.
Départ parce qu'espoir.
Toute seule maintenant à ma table.
Nul indien ne m'a jamais sauté dessus et j'ai toujours pas de thé. Mais espoir.







Le thé est venu.
Le sillage d'une goutte, comme celui d'une larme, scindait le hublot en deux.